Voir …et pourtant aimer !

La Ville change... ceux qui l’habitent aussi ! ...

La Ville change... ceux qui l’habitent aussi !

Bordeaux n’est plus un port et ce ne sont plus des barriques qui roulent devant la Garonne mais des rollers et des skates. Les choix faits au cours des siècles ont modifié son visage, inscrivant des cicatrices muettes, jetant ponts et avenues comme autant de fenêtres d’où jaillissent de nouvelles lueurs. Certaines, pures et lumineuses, dessinent les trajectoires d’un futur plein de promesses à incarner. D’autres, blafardes, reflètent des univers glauques qui, tels des moisissures, s’attachent à l’envers du décor.

Car si les navires négriers ont depuis longtemps cessé leur trafic, une autre humanité en souffrance se retrouve aujourd’hui, invisible mais présente, sur les rives de la Garonne, faite de travailleurs roumains et de prostituées bulgares, de laissés -pour-compte, échoués là comme les débris d’un naufrage.

Tout près de là mais à des années lumières, tout un peuple de secrétaires et d’employés, de fonctionnaires et d’étudiants, de commerciaux, d’enseignants, d’artisans, de patrons se presse dans une fébrile agitation, ignorant des saisons de la terre et des travaux de la vigne qui, si longtemps, rythmèrent son calendrier.

La ville n’est pas une carte postale.

Elle change et se transforme, vire ses couleurs comme un caméléon posé au bord du temps.

Réalité vivante bien loin des images d’Epinal, elle a des atouts séduisants et des maladies honteuses, des forces bouillonnantes et des blessures secrètes.

Qu’ils soient indésirables, ou pleins de charme,

Bordeaux a ses contrastes qu’il lui faut accepter sous peine de ne pouvoir les dépasser et de s’enfermer dans ce discours lisse et poli, cette image froide et superficielle qu’elle présente à l’étranger de passage.



Nos défis sont semblables et, comme elle, nous devons assumer nos blessures et regarder vers le futur sans fermer les yeux face à la souffrance qui parfois se déverse à gros bouillon dans notre âme.

Pour nous aussi, voir les changements qui s’opèrent en nous et chez ceux que l’on aime ne signifie pas s’éloigner. La lucidité ne saccage pas la réalité ou bien celle-ci n’était qu’illusion, comme une coquille vide n’existant que par la force du souvenir.

Voir, c’est être conscient et refuser le voile hypocrite du mensonge qu’appose sur les êtres et les choses, le regard de celui qui ne veut pas souffrir.



Voir n’empêche pas d’aimer …au contraire. Aimer, c’est voir les changements et percevoir derrière ces mouvements imprévisibles l’âme qui cherche à se manifester.



Emmanuel Quad